samedi 27 décembre 2014

Le jour où Abraham Lincoln a voulu exiler les Noirs des États-Unis

« Pourquoi les gens d’ascendance africaine doivent-ils partir et coloniser un autre pays ? Je vais vous le dire. Vous et moi appartenons à des races différentes. Il y a entre nous plus de différence qu’entre aucune autre race. Que cela soit juste ou non, je n’ai pas à en discuter, mais cette différence physique est un grand problème pour nous tous, car je pense que votre race en souffre grandement en vivant avec nous, tandis que la nôtre souffre de votre présence. En un mot, nous souffrons des deux côtés… Si on admet cela, voilà au moins une bonne raison de nous séparer… »

 Oui, c’est le président Abraham Lincoln lui-même qui tient ces propos bien peu engageants, loin, bien loin de l’image que l’on construira de lui plus tard. Ce 14 août 1862, alors que la nation américaine se déchire, que les États, désunis, s’affrontent dans un conflit fratricide, la terrible guerre de Sécession déclenchée depuis son élection il y a deux ans, Lincoln a convoqué à la Maison Blanche une délégation de leaders noirs pour leur tenir ce discours : il faut que les Noirs quittent les États-Unis !

En guise d’introduction, à peine les cinq « personnes de couleur » sont-elles assises dans son bureau qu’il leur indique qu’une somme d’argent a été réservée par le Congrès, « tenue à sa disposition pour aider au départ des personnes d’ascendance africaine pour qu’elles colonisent un quelconque pays ».

 Cela fait longtemps qu’il y songe, a dit d’emblée le président, et il se fera un devoir de favoriser cette cause. — Vous, ici, vous êtes des affranchis, je suppose ? interroge abruptement Lincoln.
— Oui, Monsieur, répond l’un des délégués. —
Peut-être l’êtes-vous depuis longtemps, ou depuis toute votre vie…
D’après moi, votre race souffre de la plus grande injustice jamais infligée à un peuple…
Mais, même si vous cessez d’être esclaves, vous êtes encore bien loin d’être sur un pied d’égalité avec la race blanche…
Mon propos n’est pas d’en discuter, c’est de vous montrer que c’est un fait…
Et puis regardez où nous en sommes, à cause de la présence des deux races sur ce continent… Regardez notre situation – le pays en guerre ! –, les hommes blancs s’entre-égorgeant, et personne ne sait quand cela s’arrêtera. Si vous n’étiez pas là, il n’y aurait pas de guerre…
Et le président de conclure : — Il vaut donc mieux nous séparer…

Je sais qu’il y a parmi vous des Noirs libres qui ne voient pas quels avantages ils pourraient en tirer… C’est, permettez-moi de le dire, un point de vue extrêmement égoïste… Si des hommes de couleur intelligents, comme ceux que j’ai devant moi, le comprennent, alors nous pourrons aller plus loin. Je pense pour vous à une colonie en Amérique centrale. C’est plus près que le Liberia… Il y a là un pays magnifique, doté de beaucoup de ressources naturelles, et, à cause de la similarité du climat avec celui de votre pays natal, il vous conviendrait parfaitement…

 Un silence stupéfait accueille ces arguments qui défient l’entendement. C’est la première fois, depuis la création des États-Unis près d’un siècle plus tôt, qu’une délégation officielle de Noirs est invitée à la Maison Blanche pour une raison politique (elle a été conduite auprès du président par le révérend Joseph Mitchell, commissaire à l’Émigration), et quelle réception !
On imagine sans peine le froid glacial, même au cœur de l’été tropical de Washington, qui a saisi les cinq hommes, éminents représentants de la communauté noire dans la capitale. Son monologue achevé, le président les congédie en laissant à peine le temps à Edward Thomas, qui mène la délégation, de bredouiller : — Nous allons nous consulter et vous donner une réponse rapide…
— Prenez votre temps, lâche le président.

Comment Lincoln ose-t-il charger les Noirs de la responsabilité de la guerre qui ensanglante le pays ? Comment ne reconnaît-il pas que, comme ses interlocuteurs ce jour-là, la plupart des Noirs vivant alors aux États-Unis sont nés sur le sol américain et ne savent rien de l’Afrique ? Le président est indifférent à ce type de considération, ce n’est pas un idéaliste. Par ses propos coupants, il exprime ses convictions les plus profondes : s’il n’aime pas l’esclavage, c’est bien sûr pour des raisons morales, mais aussi parce que cela pourrit la vie des Blancs, et met en danger la pérennité de l’Union. Il reste convaincu que les deux races n’ont rien à faire ensemble.

Et cela fait longtemps qu’il nourrit ce vieux projet, dit de « colonisation », déjà envisagé plusieurs décennies auparavant par Thomas Jefferson : renvoyer les esclaves en Afrique ou en Amérique centrale pour en finir avec cette plaie.
C’est une sorte de compromis entre les deux positions extrêmes qui s’affrontent alors, celle des planteurs du Sud farouchement accrochés à l’esclavage et celle des intellectuels du Nord qui luttent pour son abolition pure et simple.

Extrait de "Les secrets de la Maison Blanche" de Nicole Bacharan et Dominique Simonnet, aux Editions Perrin, 2014.

http://www.atlantico.fr/decryptage/au-coeur-maison-blanche-jour-ou-abraham-lincoln-voulu-exiler-noirs-etats-unis-1920131.html#57skLfsxcUQlpTpT.99

mercredi 17 décembre 2014

Non M. Hollande, ce ne sont pas les immigrés qui sont une chance pour la France, c'est la France qui est une chance pour les immigrés

Mal nommer les choses c'est ajouter aux malheurs du monde" écrivait Camus. Vous devriez lire Camus, monsieur le président, et comme vous aimez beaucoup les immigrés vous devriez lire aussi la magnifique déclaration d’amour faite à la France par le fils d'un immigré juif polonais (Alain Finkielkraut). Il parle de notre pays tellement mieux que vous, français de souche pourtant ce qui, manifestement, ne vous confère aucune compétence en la matière.
Passons rapidement sur vos petits accommodements avec la vérité, domaine dans lequel vous excellez.
Vous déplorez, monsieur le président, qu'il ait fallut attendre 7 ans - "c'est long" - pour que soit inauguré ce musée dont votre très méchant prédécesseur ne voulait pas. Et vous, monsieur le président, vous êtes au pouvoir depuis quand ? Plus de 2 ans et demi ! Et vous n'avez pas, jusqu'à maintenant, trouvé les quelques minutes nécessaires pour faire un saut Porte Dorée ?
Comme vous raffolez de la déploration vous avez versé quelques larmes en regrettant que les temps ne soit pas murs pour le droit de vote des étrangers aux élections municipales. Il est vrai que pour réformer la loi dans ce sens vous n'avez pas la majorité requise des 3/5 des députés et sénateurs réunis. Mais vous n’ignorez pas, monsieur le président, que vous est accordé le droit d'organiser un référendum sur cette réforme qui vous tient tant à cœur. Allô quoi ? Ah oui j'entends... "Je ne suis pas suicidaire", avez-vous dit.
Mais il ne s'agit là que de gamineries de bac à sable sans grande importance. Vous avez dit et répété : "immigrés je vous aime". Le mot "immigré" fait partie de la panoplie utilisée par ceux qui aiment la mélasse où tout est broyé pour que plus rien ne soit reconnaissable. Vous connaissez la recette. Un peu de mineurs polonais venus travailler dans les charbonnages du Nord. Un chouia de Juifs de l'Est, une dose d’Espagnols fuyant Franco, un zeste d'Italiens hostiles à Mussolini et une proportion d'Arabes et d'Africains que la prudence nous incite à ne pas spécifier ici.
Et vous avez grossièrement touillé tout ça. Tous pareils, tous égaux, tous se valent. Allons, monsieur le président, vous aimez psalmodier la Déclaration des Droits de l'Homme : "tous les hommes naissent et demeurent etc...". Certes "tous naissent" mais tous ne "demeurent pas" ! Un badigeonneur de Sacré Cœur qui vend ses croûtes place du Tertre n'est pas l'égal de Picasso. Et le djihadiste français parti égorger en Syrie et en Irak n'est pas non plus mon semblable.
Vous avez dit, toujours dans le registre du mensonge compassionnel, que les immigrés étaient une chance pour la France. On comprend bien que vous vouliez porter la bonne et consolatrice parole aux populations souffrantes que le racisme français humilie tous les jours. Et donc, après vous avoir écouté, on a pleuré d'émotion dans les chaumières de la Courneuve, de Trappes et du Mirail. Et, spectacle bouleversant, des centaines de "jeunes" sont venus déposer dans les commissariats kalachnikov, couteaux et battes de base-ball. Grâce à vos paroles le sublime a été atteint par une procession d'hommes en chemise (comme les bourgeois de Calais) se frappant la poitrine en signe de contrition et criant avec des sanglots dans la voix : "Nous ne dhjihadirons plus".
Savez vous, monsieur le président, que je suis moi-même issu de l'immigration ? Je n'en tire ni fierté ni honte. Mais de ce monde j'ai quelques connaissances. Aucun de ces immigrés que vous piétinez en les noyant dans le mélange indigeste que vous nous servez comme soupe n’aurait dit qu'il est une chance pour la France. Tous, toutes origines et toute opinions politiques confondues, pensaient que la France était une chance pour eux. Ils ont donné des choses à la France. Mais ils ne lui ont rien pris.
Mon père - vous m’obligez M. Hollande à parler de lui - fut un des responsables de la MOI (Main d'Oeuvre Immigrée), une organisation communisante qui regroupait des ouvriers et des artisans juifs, polonais, roumains, espagnols, italiens, arméniens. C'est dans cette mouvance qu'on alla chercher des centaines de jeunes (sans guillemets) pour faire le coup de feu contre les nazis. Quelques uns d’entre eux, Juifs pour la plupart, furent plus connus que d'autres grâce à l'Affiche Rouge.
Comme j'avais écris un livre sur la question, je fus invité pour en parler dans un lycée professionnel de Sarcelles. Pensez donc ils étaient "immigrés, étrangers" ! Ça allait plaire aux jeunes "issus de la diversité..." Avant que je n'entre dans la classe ou j'étais attendu la prof me prit à part. "Pourriez-vous, s'il vous plaît, vous abstenir de dire que les héros de l'Affiche Rouge étaient Juifs car la plupart de mes élèves sont musulmans. Vous comprenez n'est-ce pas ?". "Non, madame, je ne souhaite pas comprendre". Et j'ai tourné les talons. Je ne voulais pas que mon père soit insulté. C'est ce que, d'une certaine façon, vous avez fait hier, monsieur le président.

http://www.atlantico.fr/decryptage/non-m-hollande-ne-sont-pas-immigres-qui-sont-chance-pour-france-c-est-france-qui-est-chance-pour-immigres-musee-histoire-1908155.html