mardi 18 juin 2013

Des billets de banque comme analgésiques

Si vous suivez avec fidélité cette chronique de la science improbable - et on voit mal comment il saurait en être autrement -, vous souviendrez-vous qu'elle s'est il y a quelques semaines fait l'écho d'une étude montrant que l'efficacité d'un analgésique était davantage fonction de son prix que de son principe actif ? Plus le cachet est cher, plus il soulage (le patient et son portefeuille) : pour bien lutter contre la douleur, le médicament doit avant tout faire souffrir le compte en banque.
Mais il y a encore plus étonnant que cet effet placebo du prix. Selon une étude américano-chinoise publiée en 2009 dans la revue Psychological Science, l'argent lui-même serait un bon analgésique. "Tu as la migraine, chéri(e) ? Va tirer quelques billets au distributeur automatique."
Ces chercheurs sont partis de l'idée selon laquelle l'argent provoque chez son possesseur un sentiment de bien-être, de force, d'efficacité, peut-être en activant la production d'endorphines, molécules du soulagement. Pour valider cette hypothèse, ils ont mis au point trois séries d'expériences. Au cours de la première, ils se sont aperçus que des "cobayes" exclus d'un groupe social - et donc en souffrance morale - étaient avides d'espèces sonnantes et trébuchantes : ils dessinaient des pièces de monnaie plus grandes qu'elles ne l'étaient en réalité et se disaient davantage prêts à renoncer à certains plaisirs pourvu qu'ils fassent fortune. L'argent, remède à tous leurs maux.
ARGENT PROTECTEUR
La deuxième série de tests était bien plus attrayante. Les participants étaient divisés en deux groupes. Le premier passait quelques instants à compter 80 morceaux de papier tandis que l'autre devait dénombrer autant de billets de banque. Puis tout le monde mettait la main dans un dispositif destiné à l'immobiliser, deux doigts trempant dans de l'eau chaude. Pour certains, une eau à 43 °C pendant 3 minutes, ce qui procure une sensation désagréable. Pour d'autres, un traitement plus douloureux : 90 secondes à 43 °C, 30 secondes à 50 °C, puis une minute à 43 °C. Pas de quoi se brûler vraiment, mais presque. Et, bien sûr, ceux qui avaient touché au grisbi souffrirent moins que les autres. L'argent protecteur : Picsou est toujours en pleine forme, à nager dans ses milliards.
Enfin, au cours des dernières expériences, une moitié des cobayes dressait par écrit la liste de ses dépenses du mois écoulé, tandis que l'autre racontait le temps qu'il avait fait. Puis recommençait le jeu de l'exclusion sociale ou celui des doigts immergés dans l'eau chaude. Dans les deux cas, ceux qui s'étaient remémoré la perte d'argent souffraient davantage, que ce soit moralement ou physiquement, comme s'ils étaient victimes du mal dont est atteint Panurge dans le Pantagruel de Maître Rabelais : "Faulte d'argent, c'est douleur non pareille."
A l'attention de Jérôme C. et de Bernard T., qui nous lisent, le malade souffre à mesure de l'attachement qu'il avait pour sa fortune. Un certain Harpagon a décrit les symptômes : "Mon esprit est troublé et j'ignore où je suis, qui je suis et ce que je fais. Hélas ! Mon pauvre argent, mon pauvre argent, mon cher ami ! On m'a privé de toi ; et puisque tu m'es enlevé, j'ai perdu mon support, ma consolation, ma joie ; tout est fini pour moi, et je n'ai plus que faire au monde. Sans toi, il m'est impossible de vivre. C'en est fait, je n'en puis plus, je me meurs, je suis mort, je suis enterré."

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