samedi 15 janvier 2011

The european Foreign Office

La baronne Ashton a délocalisé le Foreign Office, l’équivalent britannique du Quai d’Orsay, de Londres à Bruxelles ! C’est du moins ce qui apparaît à la lecture de l’organigramme du Service européen d’action extérieur (SEAE), le bras séculier de la politique étrangère et de sécurité commune (PESC), colonisé par les Britanniques, les Français, mais aussi les Allemands, étant réduits à la portion congrue... Plus grave encore : la ministre des Affaires étrangères, on n’ose plus dire de l’Union européenne, a décidé d’avoir la peau de l’embryon de défense européenne afin de ne pas faire d’ombre à l’OTAN, comme le veut Londres. Catherine Ashton, manifestement bien conseillée par son pays d’origine, a effectué un magnifique travail de sape du SEAE afin de lui limer les dents et les ongles et veiller à ce qu’il ne fasse pas d’ombre aux intérêts britanniques. Bref, un an après l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, c’est « jeu, set et match pour la Grande-Bretagne », pour reprendre l’expression de l’ancien premier ministre de sa gracieuse majesté, John Major.

La France, première diplomatie européenne, a certes obtenu le poste de numéro 2 qu’elle réclamait, celui de secrétaire général du SEAE qui revient à Pierre Vimont. Mais Ashton, qui n’a pas pu bloquer cette nomination qui ne dépendait pas d’elle, a inventé un poste de même niveau, celui de responsable de l’administration qui est revenu à l’Irlandais David O’Sullivan et a nommé comme « conseiller spécial » (un poste qui flotte dans l’organigramme entre le bureau exécutif — composé de la ministre, de Vimont, de ses deux adjoints et de O’Sullivan — et les organes militaires) le Britannique Richard Cooper, ancien patron de la direction générale du Conseil des ministres chargé des relations extérieures. De même, les ressources humaines, le contrôle des ambassades de l’Union et les infrastructures reviennent à ses compatriotes.

Au niveau des cinq grandes directions régionales, l’équilibre géographique semble a priori mieux respecté. Mais, dans le détail, les Britanniques effectuent une véritable razzia. Ainsi, la Grande-Bretagne obtient pour l’un de ses diplomates Nicholas Wescott, la direction Afrique. Son adjoint, chargé de la corne de l’Afrique et de l’Afrique de l’est et du sud, est aussi Anglais tout comme son directeur chargé de la corne de l’Afrique : autrement dit, la zone traditionnelle d’influence de la Grande-Bretagne reste sous contrôle. Et le Maghreb échappe à la France qui obtient tout juste le poste de directeur chargé de l’Afrique centrale. Pour l’Asie, c’est un peu plus subtil : le directeur général est certes Roumain, mais son adjoint est britannique, tout comme le directeur chargé de l’Australie, du Japon, de la Corée et de la Nouvelle-Zélande ou celui chargé du Pakistan, de l’Afghanistan, du Bengladesh… C’est un Français venu de la Commission, Hugues Mingarelli, qui obtient la direction régionale chargée du Proche-Orient. Mais sous ses ordres, aucun Français. Les deux autres directions régionales reviennent à un Slovaque (pays d’Europe de l’Est et du sud-est) et à un Suédois (Amérique).

La direction générale chargée des questions multilatérales n’a pas encore de titulaire. Au niveau des adjoints, on trouve certes une Française chargée des droits de l’homme (Véronique Arnault), mais aussi un Britannique (prévention des conflits et sécurité). Il est aussi tout à fait remarquable qu’aucun des diplomates envoyés par Paris n’ait été retenu par Ashton pour occuper l’un des sièges d’ambassadeur de l’Union ou de direction du SEAE… Au final, dans les postes de direction, le rapport de force entre les deux principales diplomaties européennes, la Britannique et la Française, le rapport de force est d’un à cinq très précisément… Pour les Allemands, c’est encore pire.

Comme Ashton ne pouvait guère aller au-delà, elle a confié d’autres postes stratégiques à des pays d’Europe du nord qui se situent plutôt sur la longueur d’ondes britannique et qui, du coup, sont surreprésentés. Ainsi, la direction générale « Amérique » revient à un Suédois, Christian Leffler. Enfin, le centre de renseignements de l’Union, le Sitcen, échappe, comme on pouvait le craindre, au Français Patrice Bergamini à qui les Britanniques n’ont jamais pardonné son engagement contre la guerre en Irak : sa direction échoit à un Finlandais, ce qui revient à le stériliser, les services diplomatiques français, britannique ou allemand n’ayant guère de lien de confiance avec la Finlande dont la diplomatie est tout entière tournée vers la Russie. Or, le SEAE ne pourra fonctionner efficacement que si les grandes puissances européennes acceptent de partager leurs renseignements…

La neutralisation de la politique de défense commune a pris le même chemin tortueux. Ainsi, la présidence du Comité Politique et de sécurité (COPS), l’organe permanent chargé de la politique de défense commune composé des ambassadeurs des États membres, a été confiée à un Suédois, ressortissant d’un pays neutre et non membre de l’OTAN. Même chose pour le Comité militaire, ce qui est encore pire…
L’État major européen revient aux Pays-Bas dont tous les officiers sont formés à West Point et dont on connaît le peu d’appétence pour la défense européenne. Il en est de même de la planification civile. La France obtient en lot de consolation l’Agence de l’armement qui se cherche toujours un rôle… « Ces nominations montrent clairement qu’Ashton veut transformer la politique de défense européenne en gestion de catastrophe humanitaire. D’ailleurs, les Britanniques qui commandent l’opération Atalante, qui vise à lutter par des moyens militaires contre la piraterie dans la corne de l’Afrique, veulent qu’elle soit rattachée à l’OTAN… », commente un diplomate européen.

La ministre européenne n’a, de toute façon, jamais caché qu’elle ne portait aucun intérêt aux questions de défense. Ainsi, les organes militaires n’ont pas d’accès direct à elle, son cabinet, largement dominé par les Britanniques, lui aussi, faisant systématiquement barrage. « En plus », raconte un militaire, "le cabinet exige que toutes les notes soient uniquement rédigées en anglais », la seule langue que la ministre comprenne…

L’affaire est politiquement extrêmement grave : la France a réintégré la structure militaire intégrée de l’OTAN en échange de deux postes de commandement (dont l’un va être supprimé dans le cadre de la réorganisation de l’Organisation), mais aussi dans l’espoir que cela permettra à la défense européenne de prendre son envol. Or, c’est exactement le contraire qui se passe : l’OTAN qui, depuis le sommet de Lisbonne de décembre dernier, peut aussi gérer les crises humanitaires, est en train d’absorber « le peu d’Europe de la défense », selon l’analyse d’un militaire français. Pour la plupart des partenaires de Paris, pourquoi faire au niveau européen ce dont l’OTAN, et donc les Américains s’occupe déjà ? La nomination de neutres et d’otaniens purs sucres s’inscrit dans cette logique. « Les Français ont été trompés », s’indigne un responsable français.

Comment expliquer une telle razzia britannique et une telle Bérézina française ? Par la fascination de la diplomatie hexagonale, certains parlent de « fascination masochiste », pour la Grande-Bretagne. Nicolas Sarkozy, le chef de l’État français, confiait ainsi en 2009, qu’il fallait que le poste de ministre des Affaires étrangères de l’Union revienne à un Britannique afin des les convaincre de l’utilité de cette politique commune. Une nouvelle fois, on peut constater que ce n’est pas le cas, bien au contraire. Ce n’est pas la première fois que la France se laisse ainsi séduire par les sirènes britanniques, comme l’a montré l’accord de Saint-Malo de 1998 qui devait lancer la défense européenne et qui resta quasiment lettre morte et comme le montrera sans doute le nouvel accord franco-britannique signé en novembre dernier…

En outre, la France a du mal à défendre sa position en Europe, à la différence des Britanniques. Après avoir obtenu la nomination de Vimont, elle a estimé qu’elle ne pouvait pas obtenir plus, une pudeur qui n’a pas étouffé les Britanniques. Mais il est vrai que les partenaires de la France aiment la taxer d’arrogance alors qu’ils louent le pragmatisme d’Albion… Il n’y a donc plus guère de doute que les quatre prochaines années seront perdues pour la diplomatie européenne qui risque de n’être guère plus qu’une succursale de l’Alliance Atlantique

http://bruxelles.blogs.liberation.fr/coulisses/2011/01/the-european-foreign-office.html

Aucun commentaire: