vendredi 26 novembre 2010

Irlande: Pas un penny pour ce paradis fiscal !

The Guardian


Grâce à un très faible taux d’imposition sur les sociétés, l'Irlande est devenue un haut lieu du dumping fiscal en Europe. Le fait que ce pays vienne d’accepter un plan d’aide international pour renflouer ses banques – dont 8 milliards d’euros du Royaume-Uni déjà lourdement endetté – suscite la colère d'une célèbre éditorialiste britannique.
Le renflouement de l’Irlande et de ses banques est une affaire si tordue qu’il faut soumettre son esprit à de véritables contorsions pour admettre que cela puisse bel et bien avoir lieu aujourd’hui, dans de telles conditions, et en imposant si peu de réformes aux banques. Mystique des chiffres, le renflouement irlandais va coûter à la Grande-Bretagne environ 7 milliards de livres (8,2 milliards d’euros) – autant que la somme inutilement et douloureusement retranchée des dépenses publiques cette année, autant que ce que les banques de la City devraient également verser sous forme de bonus en février. (...)

Quelles leçons tirer de la crise irlandaise ? Bill Cash, membre europhobe du Parlement, se déchaîne, ulcéré par le plan de sauvetage, tandis que les eurosceptiques, à gauche comme à droite, se frottent les mains en ricanant, l’air de dire “on vous avait prévenus”. Même les conservateurs ont félicité Gordon Brown de ne pas nous avoir fait entrer dans la zone euro. Ils oublient, ce qui est bien pratique, que l’Islande, prise au piège de la même bulle économique hors de la zone euro, est elle aussi en faillite – alors qu’elle est libre de dévaluer et de fixer ses propres taux d’intérêt.


C’est nous, les Britanniques, qui offrons à l’Irlande la deuxième plus grande somme pour son renflouement parce que nous sommes particulièrement exposés à une faillite de ses banques : cela n’a pas grand-chose à voir avec le fait d’être rattaché ou non à l’euro. Et serons-nous si fiers de nous l’an prochain, quand la zone euro affichera une croissance deux fois supérieure à la nôtre, selon les prévisions ? Il est parfaitement stérile de se demander si nous nous portons mieux dehors que dedans.

Quelles leçons aura tirées George Osborne depuis l’éloge dithyrambique qu’il a publié en 2006 dans The Times sous le titre “Look and Learn Across the Irish Sea” [Ce que nous avons à apprendre en regardant de l'autre côté de la mer d’Irlande] ? “L’Irlande apparaît comme un brillant exemple d’excellence dans l’art du possible de la politique économique à long terme…”, s’enthousiasmait-il. “Les capitaux iront toujours là où il est plus intéressant d’investir. La fiscalité irlandaise sur les sociétés est de seulement 12 %, tandis que celle de la Grande-Bretagne est en train d’atteindre l’un des taux les plus élevés du monde [28 %].” Une faible fiscalité, voilà la solution, assurait Osborne.

Il en est probablement encore convaincu, puisqu’il offre 7 milliards de livres sans même sous-entendre que l’impôt sur les sociétés en Irlande ne constitue rien d’autre que de la concurrence déloyale. Seule la nécessité la plus cruelle peut conduire un ministre des Finances conservateur et eurosceptique à mettre la main à la poche pour la zone euro. Mais faire contre mauvaise fortune bon cœur, dit-il, c’est se comporter en “bon voisin” avec nos cousins d’outre-mer d’Irlande. Ce qu’il ne dit pas – embarrassé, peut-être, par toutes ses louanges passées –, c’est que les Irlandais, eux, se sont comportés comme de très mauvais voisins.

La semaine dernière encore, une grande entreprise britannique (Northern Foods, qui a désormais fusionné avec Greencore) a déménagé son siège à Dublin. Seuls sa plaque de cuivre et ses bénéfices sont partis, pas ses usines de biscuits et de surgelés. L’Irlande joue le jeu du chacun pour soi et du dumping fiscal depuis bien des années. Le fait que l’Union européenne ait pu le tolérer demeure un mystère, d’autant que, pendant ce temps, l’argent coulait à flots de Bruxelles vers Dublin, finançant au fil du temps une modernisation spectaculaire des infrastructures. Plusieurs autres grands groupes ont récemment quitté leurs quartiers londoniens pour la capitale irlandaise, à commencer par le géant de la publicité WPP. Il s’agit pour l’essentiel de déménagements virtuels aux objectifs purement fiscaux, puisqu’ils ne s’accompagnent pour ainsi dire d’aucun déplacement de personnel – et certainement pas de la part des conseils d’administration.

Le véritable déshonneur de l’Irlande n’est pas d’avoir pris son boom immobilier pour un intarissable pactole. Ce qui est impardonnable, c’est son statut honteux de plus grand paradis fiscal européen, qui depuis des décennies aide les entreprises à se soustraire aux administrations fiscales du monde entier. C’est ce qu’on appelle le “double irlandais”, souvent combiné au “sandwich hollandais”.

Prenez le cas classique de Google : au cours des trois dernières années, Google a économisé la somme faramineuse de 3,1 milliards de dollars en utilisant le stratagème du “double irlandais” pour transférer aux Bermudes l’essentiel de ses profits réalisés à l’étranger, en passant par Dublin et les Pays-Bas. La société a ainsi réduit son taux d’imposition hors Etats-Unis à seulement 2,4 %. L’Irlande permet à Google, à Facebook, à Microsoft et à bien d’autres d’utiliser des filiales pour transférer leurs profits et ainsi échapper même à la faible fiscalité de l’Irlande. La loi irlandaise les autorise en effet à faire passer leurs profits vers d’autres paradis fiscaux n’exigeant aucun impôt sur les sociétés, et ne prélève au passage que des sommes ridicules : Google n’a versé que 21 millions d’euros au gouvernement irlandais – qui lui a pourtant permis de faire transiter 92 % de ses profits à l’étranger.


L’Irlande est un véritable paradis avec le régime fiscal le plus laxiste d’Europe. Google crée effectivement de l’emploi en Irlande : quelque 2 000 postes administratifs pour gérer les formalités. Les perdants ne sont pas seulement tous les pays européens, mais tous les pays du monde à l’exception des Etats-Unis. Souvenez-vous de cela la prochaine fois que vous lisez la morale de Google – “Don’t be evil”. Et souvenez-vous aussi de Bono, pour qui un taux d’imposition de 12,5 % était encore trop élevé, et qui a donc transféré la base financière de U2 vers un pays encore moins exigeant, les Pays-Bas. Il ferait bien de ne pas se faire l’avocat d’une nouvelle grande cause tant qu’il n’aura pas ramené son groupe dans son pays d’origine.

Alors pourquoi n’exige-t-on pas de l’Irlande qu’elle remettre de l’ordre dans sa fiscalité et cesse d’escroquer tous les pays voisins qui viennent aujourd’hui à son secours ? Parce que le FMI réclame que les gouvernements assomment leurs citoyens à coups de mesures punitives et qu’il préfère un niveau d’imposition réduit ou, mieux, inexistant. Le purgatif du FMI est un remède idéologique ; il ne permet de tirer aucune leçon. Lorsque l’état du patient s’aggrave et frôle la mort, comme c'était le cas pour l’Irlande après sa première vague d’austérité, le FMI augmente la dose de sangsues, de mercure et d’arsenic. C’est ce genre de remède prékeynesien que nous prescrivent aujourd’hui Cameron et Osborne. Il reste une semaine avant l’accord final : l’Europe va-t-elle réellement signer un chèque à l’Irlande sans lui demander de mettre un terme à ses pratiques de piraterie fiscale ni de rejoindre le monde civilisé ?

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