dimanche 14 mars 2010

Se faire soigner au Québec relève de l'aventure

Pêché sur le blog de Pétronille:
http://petronille-dans-la-tourmente-quebecoise.over-blog.com/

(...)

Il y a deux types de Québécois, sache-le.
- ceux qui ont un médecin de famille, et qui peuvent donc se promener dans la rue la tête haute (vous obtenez un médecin de famille si vos arrière-arrière-grands-parents en avaient un. Le médecin de famille, ça se lègue, ça se transmet, ça se mérite, c'est un trésor que l'on chérit)

- et les autres.

Le médecin de famille, comme les hommes de 30 ans intelligents ET célibataires ou le jambon blanc, est une denrée rare au Québec.
Le médecin de famille, comme l'adresse d'un bon coiffeur pas cher et sympa à Paris ou la recette du crumble aux fruits exotiques, se transmet en chuchotant de génération en génération, dans le secret le plus absolu.

Pour résumer cela à l'intention des lecteurs français qui râlent quand ils attendent 15 mn chez le médecin : si vos ancêtres fraîchement arrivés en Nouvelle-France au 17e siècle avaient un médecin de famille, vous êtes sauvés. Pour tous ceux qui sont arrivés après la Bataille des Plaines d'Abraham (voir ici pour les curieux ou les incultes), c'est foutu. Nouveaux immigrants ou Québécois ayant simplement déménagé dans une autre ville, il n'y a pour vous qu'une seule solution : la clinique médicale.

La clinique médicale n'est pas un hôpital propret comme on le voit dans les séries télé françaises aseptisées et meublées IKEA, mais un bâtiment grisâtre semblable à une antenne locale de la Sécu (ou pire, du Pôle Emploi de sinistre mémoire).

Le malade, si et seulement s'il est sûr qu'il a quelque chose de grave (sinon, il va montrer ses ganglions ou le fond de sa gorge à son pharmacien, lequel trône derrière un bureau au fond d'un supermarché, quelque part entre le rayon shampooing et les sodas à fort taux de faux sucre), se rend donc à la clinique médicale, où il va à coup sûr perdre :
(ne rien rayer : il n'y a pas de mention inutile)
- son temps
- sa patience
- son emploi (car il faut prendre sa journée pour être sûr d'avoir accès au médecin)
- sa santé (vous entrez avec une entorse, mais ressortez - promiscuité oblige - avec la grippe A)
(non je ne suis pas vaccinée)

Le Québécois qui n'est pas gravement malade peut aussi se rendre à la clinique uniquement pour faire renouveler une ordonnance (10 secondes dans le cabinet du médecin pour 5 heures d'attente, donc), ou demander le sésame qui lui permettra de voir un spécialiste (un gynécologue, par exemple, espèce rare et en voie de disparition que certains vieux sages ou vieux fous disent avoir réellement existé, mais ce n'est peut-être qu'une légende urbaine)

Aujourd'hui, donc, Pétronille s'est rendue à la clinique la plus proche de chez elle à 8h30 du matin (la clinique ouvrant à 9h).
Première joie, ô joie : 23 personnes sont déjà là, à faire sagement la queue (ai-je précisé que ce jour-là il s'était précisément remis à neiger à très gros flocons ?)

(...)

Une fois la clinique ouverte par deux gentilles dames, tout le monde entre tranquillement et refait la queue devant le comptoir, au fond d'une grande salle pleine de chaises. Chacun à notre tour, nous remplissons un petit papier avec nos noms et adresses, et allons rejoindre nos infortunés congénères dans la salle d'attente brunasse, dans la promiscuité la plus totale. Pétronille trouve un siège vacant entre une grosse dame portant un masque médical dans lequel elle tousse allègrement (ce qui ne laisse rien présager de bon) et une joyeuse famille de trois enfants pleins de vie.

Il fait froid, tout le monde a gardé son manteau et ses gants de ski, moyennement pratique pour tourner les pages. Encore naïve et confiante, Pétronille extirpe Guerre et Paix de son sac et attaque le premier chapitre. Ceux qui ont été moins prévoyants se ruent sur les quatre revues écornées qui gisent sur une petite table basse, et les autres glissent dans un demi-sommeil.

Il y a quatre salles de consultation au fond d'un couloir beigeasse, toutes dûment numérotées.
Mais il n'y a qu'un médecin.
Dont la voix nasillarde et déformée résonne tous les quarts d'heure dans des hauts-parleurs :
"Madame X, salle 2"
"Monsieur Z, salle 2"
(au bout de 22 personnes, on a bien compris que c'était la salle 2, mais le médecin, vaillamment, continue d'en informer ses patients - ah pardon, ici on dit "clients")

L'heureux élu dont le nom vient d'être appelé, et qui somnolait un peu depuis 4 heures, engourdi par le froid, sursaute, ouvre des yeux éblouis ("est-ce vraiment mon nom que j'entends ? Je n'ose y croire...") puis se lève en jetant un regard de triomphe aux autres malheureux qui attendent, de plus en plus recroquevillés sur leur chaise, tandis que l'heure tourne...

...lentement...

...trèèèèèès lentement...

Chacun compte les autres personnes présentes dans la pièce et se répète comme un mantra : "plus que 19 personnes... plus que 18 personnes..."
Ah ah, ce serait trop facile, lecteurs, vous l'aurez compris. Ce serait compter sans les personnes qui sont déjà passées, et qui entre-temps sont allées faire des analyses (radios, analyse de sang), reviennent et passent à nouveau avant vous. Il ne faut donc pas compter 1/4 d'heure mais bien 20 à 30 minutes par personne avant soi.

La faim commence à se faire sentir vers 14h30. Heureusement, la salle d'attente communique directement avec une pharmacie, qui vend des chocolats, bonbons, barres de céréales et autres produits peu nourrissants, froids, mais réconfortants. La caissière affiche un grand sourire : on a envie de l'embrasser tant cette chaleur humaine est éloignée de la voix désincarnée qui continue à égrener des noms. D'un clin d'oeil complice, elle désigne les petites douceurs, que nous devons avaler rapidement entre deux rayons d'aspirine car il est interdit de manger dans la salle d'attente.

Puis vient la minute M : au bout du temps qui lui aurait fallu pour se rendre à Paris en avion, manger un bobun et boire un cognac même pas versé d'une mignonette, Pétronille est appelée :
"Pétronille, salle 2"

Ca tombe bien, j'avais fini Guerre et Paix il y a 3 heures et je commençais à m'ennuyer un peu.

La nuit est tombée, il neige toujours. Par la baie vitrée qui donne sur la rue, on voit passer les bienheureux qui sont déjà sortis, titubant un peu, clignant des yeux de se retrouver à la lumière naturelle.

Pétronille entre dans la fameuse salle 2 à 18h01.

Le médecin de la 2e moitié de la journée ne parle pas français.
Enfin, pas trop.
Enfin, pas bien.
Ni très bien anglais, d'ailleurs.

Pétronille ôte son manteau, le tient au bout de son bras, ne s'asseoit même pas car déjà il la fait s'installer sur la table d'auscultation. Il passe brièvement la main sur son ventre, à travers ses habits (pour rappel, en ce jour frette, Pétronille porte un tee-shirt à bretelles, un tee-shirt à manches longues, et un gros gilet en laine) : peut-il vraiment sentir quelque chose à travers tout cela ?

Pas le temps de poser la question : il fait déjà signe de se relever.

Il est 18h02.

Alors docteur ?

Le docteur marmonne qu'il ne sait pas, qu'il faut surveiller, et "revenez me voir si ça ne passe pas"

Il est 18h03 : Pétronille est dans la rue (avec la larme à l'oeil, je peux bien vous l'avouer)

La morale de cette histoire est la suivante : si vous êtes malades, faites un aller et retour en France (ce pays où des créatures fantasmagoriques telles que les gynécologues existent pour de vrai), vous perdrez moins de temps (et la personne assise à côté de vous ne toussera pas dans votre cou pendant 8 heures).

http://petronille-dans-la-tourmente-quebecoise.over-blog.com/article-panique-a-la-clinique-episode-2-45931967.html

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Prévoyez donc une assurance privée, comme aux USA...

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Entrevue sur Radio Canada, entre le secrétaire d'état à l'emploi français, Laurent Wauquiez et Gérard Fillion, journaliste le 29 janvier 2010 :

Laurent Wauquiez: "(...) il ne faut pas vendre du rêve, il ne faut pas dire le Québec c'est l'eldorado, tout est parfait"

Gérard Fillion: "c'est souvent ce qu'on dit ?!"

LW: "c'est un peu trop souvent ce qu'on faisait avant...et puis il y a autre chose aussi, parfois le français fantasme le Québec, ils ont l'impression que c'est la France de l'autre côté. Non ! ce n'est pas la France (...) c'est un pays avec un système de santé différent, un système éducatif différent (...)".

http://quebecattention.blogspot.com/

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