lundi 14 décembre 2009

Prenzlauer Berg: "Nous sommes un peuple ! Et vous en êtes un autre.”


Touche pas à mon quartier branché !

D’étranges affiches ont envahi Prenzlauer Berg, un quartier mythique de Berlin qui, depuis la réunification allemande, a bien changé. Une mutation qui ne plaît pas à tout le monde, écrit le Berliner Morgenpost.

"Nous sommes un peuple ! Et vous en êtes un autre.”, peut-on lire sur les murs de Prenzlauer Berg.

L’affiche placardée sur un mur de la Wörther Straße, à Prenzlauer Berg, saute aux yeux des passants. Tout le monde regarde et s’indigne. “Ils se sont pas réveillés, ceux-là !” s’exclame Anita Greubermann. “Nous sommes un peuple !” lit-on en grosses lettres blanches sur l’affiche. Et, juste en dessous, en jaune : “Et vous en êtes un autre.” Et encore en plus petit : “Berlin-Est, 9 novembre 2009”.

On trouve ces affiches dans les principales rues du quartier. Des inconnus les ont collées sur les murs, les compteurs électriques et les colonnes Morris.

Anita, 35 ans, accompagnée de son fils Johann de 3 ans, se souvient encore des précédentes affiches haineuses qui avaient envahi le quartier. “Souabes, allez vous faire foutre !” pouvait-on lire. Ou bien : “Les Souabes de Prenzlauer Berg : bourges, maniaques du flicage, sans aucun sens de la culture berlinoise. Qu’est-ce que vous foutez ici ?” [Le terme “Souabes” est ici utilisé de façon péjorative pour désigner les Allemands du Sud par opposition à ceux du Nord, où se situe Berlin.]

Employée de banque, Anita a quitté Cologne pour venir s’installer à Berlin. Elle a souvent discuté de ces affiches avec ses amis et s’est même demandé si elle avait toujours envie d’habiter le quartier. Finalement, elle reste – “car c’est aussi mon quartier, dit-elle. Il y aura toujours des gens qui ne supportent pas les changements. Ceux qui posent ces affiches ne brillent pas par leur courage : ils ne disent pas qui ils sont.”

On ignore où veulent en venir les auteurs des affiches. Est-ce un conflit entre les vieux habitants du quartier et les nouveaux arrivants ouest-allemands ? En veut-on aux riches Wessis [Allemands de l’Ouest] qui prennent leurs aises aux dépens des pauvres Ossis [Allemands de l’Est] ? Et tout cela n’est-il qu’une provocation gratuite ? Ou s’agit-il de problèmes sérieux liés à la restructuration de la ville et à sa boboïsation ? “Il ne s’agit pas d’un conflit entre l’Est et l’Ouest, mais entre des façons de vivre différentes”, estime Wolfram Kempe, un élu de l’arrondissement de Pankow qui vit depuis 1983 à Prenzlauer Berg. Il serait, selon lui, “complètement idiot” de voir dans ces affiches un conflit Est-Ouest. Il ne faut pas prendre tout cela au sérieux, et le tourbillon médiatique à propos de l’affaire lui semble exagéré. En revanche, pour Matthias Köhne, le maire de l’arrondissement de Pankow, ces affiches sont “inqualifiables”. Ces gens “se sentent probablement eux-mêmes exclus et ont l’impression de ne plus avoir de place”. Jens-Holger Kirchner, des Verts, a sa propre idée. Prenzlauer Berg a été LE quartier branché durant des lustres, et ce dans toute l’Allemagne – un quartier branché dans une ville branchée. Puis la première génération de nouveaux venus est arrivée, et le charme légendaire de Prenzlauer Berg, dix, quinze ans après, est rompu. Le quartier est devenu plus bruyant, plus moderne, plus riche, et les enfants plus nombreux. “Or les nouveaux venus rêvent de conserver l’ambiance d’autrefois”, note Kirchner. D’où des conflits, comme celui du Knaack Club, un bar qui organise des concerts depuis cinquante et un ans, aujourd’hui menacé de fermeture parce que les habitants d’un immeuble neuf voisin se plaignent du bruit.

(...)

A vélo, Martin Längelmann passe devant la sinistre affiche. Cet employé de 31 ans habite dans le coin et peut “à peine” se permettre de vivre dans le quartier. “Prenzlauer Berg s’est depuis longtemps embourgeoisé”, confie-t-il. A l’en croire, la faille se situe plutôt entre riches et pauvres. “Mais peut-être que le quartier basculera avant de redevenir bourgeois une fois encore”, conclut-il, narquois.

http://www.courrierinternational.com/article/2009/12/14/touche-pas-a-mon-quartier-branche

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